CONTRE TERRE
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Explorer le pli des territoires

Tout ce travail est une tentative de réponse à une interrogation qui a l’évidente naïveté de l’enfant face à la complexité du monde et qui pourrait clairement être extraite d’un conte de Lewis Caroll.
“ Si je plonge la tête dans le sol, que je creuse la terre en ligne droite jusqu’à traverser le noyau terrestre et que je ressors de l’autre côté, je vois quoi ? ”


Relier entre eux deux points aussi éloignés l’un de l’autre qu’il est possible de l’être à la surface de la Terre, telle est l’ambition de la proposition.
Ce travail raconte l’exploration d’une île inconnue, qui a toujours été là, mais jamais décrite. On pourrait nommer cette île la Contre-Terre.
À la suite des voyageurs de l’époque moderne partis combler les blancs de la carte, nous voulons ouvrir une recherche par la création sur le pli des territoires qui ont échappé aux récits des Grandes Découvertes.
Porté par un géographe qui s’aventure sur le terrain artistique et un plasticien attaché à la rencontre entre les mondes naturels et numériques, l’exploration de la Contre-Terre vise à donner corps à de nouveaux récits géographiques.
La porosité entre l’observation de la réalité et sa représentation est au cœur de la démarche initiée ici. Pour cette raison, il est apparu évident d’articuler les démarches de la géographie, plutôt considérées comme objectives, et celles des arts visuels volontiers inscrites dans le champ de l’imaginaire.
Postulat de départ
Rapidement, nous avons pu expérimenter combien ces deux champs de pratiques disposaient de plusieurs points de convergence, à commencer par le goût de la représentation, de la sensibilité et de l’expérience du monde. Tandis que l’artiste l’aborde plutôt par le biais d’une approche subjective, plastique voire performative, le géographe le fait généralement au nom d’une objectivité scientifique, à la fois descriptive, théorique et cartographique.
Évidemment, ces catégories sont perméables l’une à l’autre; l’histoire de l’art en témoigne tout comme l’épistémologie de la géographie depuis les années 70. Désireux de prolonger ces articulations, nous soutenons le fait que les regards croisés de l’art visuel et de la géographie sont en mesure de d’interroger, voire même d’œuvrer à restaurer une certaine habitabilité de la Terre. En se gardant de céder aux alertes d’un effondrement en cours et de son administration technologique, nous sommes forcés d’admettre que le cadre rassurant de la modernité scientifique puis industrielle, est devenu pour le moins instable.
Cette Terre, que nous pensions connaître, largement explorée, traversée, mesurée, exploitée, numérisée est désormais en passe de se dérober sous nos pieds.
À rebours de cela, nous souhaiterions emprunter les chemins conduisant à habiter la Terre en créateurs, et non pas en destructeurs. Du reste, n’est-ce pas l’une des missions de l’artiste, et à sa manière du géographe, que de tenter d’ouvrir à la fois de nouveaux espaces et imaginaires géographiques. Par exemple en prenant soin de nos lieux de vie, dans leurs dimensions sociales, écologiques et symboliques. Voilà à quoi nous oblige l’avènement de l’anthropocène : un basculement depuis le paradigme de la maîtrise, celui du pouvoir sur la Terre, vers un paradigme de l’habiter, celui d’une puissance retrouvée, tournée vers les formes de vie et d’autres imaginaires.
Évidemment, les croisements entre l’art et la géographie ne sont pas nouveaux, et sans remonter nécessairement à la peinture de paysage de la Renaissance occidentale, ils ont trouvé une correspondance particulièrement vive à partir des années 70, et cela de diverses manières :
la territorialisation de l’art d’une part, la mobilisation des dynamiques terrestres dans les processus artistiques, l’intérêt des géographes pour la dimension sensible, et plus récemment les croisements entre art et science au travers de protocoles, démarches et terrains communs.
C’est dans cette filiation-là que la proposition entend s’inscrire.
Elle n’est pas tant animée par un rapprochement ad-hoc d’un scientifique et d’un artiste, mais plutôt par le fait que l’existence même de ce travail nécessite à nos yeux le croisement de ces deux démarches, brouillant les frontières entre ce que l’on présuppose comme étant de l’ordre de l’objectivité scientifique d’une part, et de l’autre, ce qui serait de l’ordre de l’imaginaire
artistique.
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